Nos Amours emprisonnés

LE STUDIO. J’ai tout de suite eu envie de lui parler, de le connaître. Au premier regard. C’est le sien qui m’a séduit. Bien qu’il fût éloigné de moi, occupé à parler à une poufiasse en robe moulante, j’ai remarqué son regard. Vide, ravagé. Comme deux plaies, deux impacts de balles qui vivaient. Et sa clope qui se balançait au bout de ses doigts, sa clope qu’il ne fumait pas. L’autre en tailleur noir faisait pareil, je remarque ce genre de détails quand je suis bien défoncé. Quand mon champ de vision rétrécit et que ma conscience s’élargit, que j’accède au ciel, à l’espace, à l’univers tout entier, quand je suis en communion avec le néant, l’infini, au-delà des trous noirs et de tout ce qui n’est pas, bien après les étoiles qui brillent encore après leur mort. Elles sont un peu comme nous. De là-haut, elles nous observent, et elles savent que je vois tout, que les objets me parlent, que la musique a une texture, le silence un parfum, que les parfums ont des mots. Analyse à la vitesse d’une lumière qu’on éteint. Tailleur noir de deuil. Cigarette qui brûle pour faire joli, pour faire croire à la vie. Collier de perles égrené nerveusement. Rire qui ment. Lèvres tordues, gloss senteur de cadavre au printemps. Champagne, alcool pour se saouler vite en restant distingué. Je prends conscience du monde entier, il est Là, dans ce musée haussmannien. La pétasse, là-bas, robe blanche qui ne trompe personne, son rouge à lèvres agressif est un bouclier, son masque, le barrage qui retient un torrent de larmes, de hurlements. J’arrive à lire sur les deux stries molles et sanglantes lui servant de bouche. Elle lui dit qu’ils sont pareils, elle et lui, qu’ils sont comme le tailleur noir, et que le tailleur noir est comme moi, que nous ne sommes pas qu’une putain, pas qu’un fou, pas qu’une fille de bourges, pas qu’un drogué, mais simplement des paumés réunis par hasard, et que le hasard n’existe pas, que nous sommes des physalis, je ne sais pas ce que c’est, des physalis, mais elle répète cela, encore, encore, encore, un mot lugubre, une incantation, elle jette un sort sur nous, est-ce une malédiction, une prière, une protection, qu’est-ce que Physalis, Physalis, Physalis

L’APPARTEMENT. Nos Amours emprisonnés.

 

Nos Amours emprisonnés, extrait de Physalis ©, pièce de théâtre de Sebastian Regert.

 

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