« Son livre sous le bras, elle s’isola dans la garrigue, mais elle remarqua une présence qui l’espionnait grossièrement. Hervé. Elle aurait pu être inquiète ou même dérangée de cette surveillance, mais elle en fut touchée. Le garçon devait beaucoup l’aimer pour s’aventurer en terrain hostile, lui qui ne connaissait rien aux secrets des collines. Il se serait vite perdu en dehors des sentiers tracés, la vue d’une vipère l’aurait fait hurler. En fuyant, il aurait trébuché, se serait retrouvé les quatre fers en l’air, la tête dans les ajoncs. Il serait rentré penaud et couvert d’épines. Elisa fut amusée à cette idée, se surprit à sourire bêtement. Même si Hervé venait de toucher son cœur, elle prit soin de le semer. Un jeu d’enfant. Pauvre Hervé…
Installée dans une borie, elle se plongea dans l’histoire de Méduse et en fut horrifiée. En refermant l’ouvrage, elle aperçut une araignée, qu’elle reconnut aussitôt. Une veuve noire. Élégante, fine et discrète. Elle approcha sa main de l’arachnide, fit en sorte de la recueillir dans sa paume. Elle l’admira, contempla la tache rouge sur son abdomen, sa forme de sablier qui lui donnait l’aspect d’une mise en garde. Clepsydre de sang.
La veuve ne la mordrait pas. Plus qu’une certitude, Élisa sentait cela. Elle avait conscience du mal qu’une seule morsure pouvait causer. Elle savait tout cela, l’araignée dans sa main. L’esprit en ébullition, elle se retint de rire. Elle songea aux récents reportages qui alertaient la population au sujet de la recluse brune, une autre araignée, dont la morsure nécrosait les tissus touchés. Les médias multipliaient les photos de membres gangrénés et de corps amputés. La recluse était pourtant une petite joueuse face à la veuve noire, qui paralysait ce qu’elle venait de mordre, dévorait le mâle après la fécondation. Vraiment, la recluse et la veuve noire ne jouaient pas dans la même cour. C’était comme comparer Saint-More à Paris. La comparer, elle, à Théo. Élisa savait laquelle des deux l’emporterait sur l’autre. Bien qu’ayant flairé le danger que Théo représentait, Élisa s’était laissée séduire. Elle voulait épouser la veuve. Quitte à être dévorée vive. »
Épouser la veuve, un extrait de Kauma ©, roman de Sebastian Regert