« L’incendie s’étendait toujours plus, dévorait la garrigue, avançait vers Saint-More. Élisa vit la fumée s’épaissir, les lueurs orangées émanant des reliefs s’intensifier. Elle trouva cela beau.
La rumeur annonça que le village pourrait être évacué. À l’inquiétude succéda la panique. On rassembla dans des valises les biens précieux, quelques souvenirs et économies. Saint-More s’agitait. Le brasier grandissant rendait les corps fébriles, mettait les esprits en ébullition. À l’approche de la nuit, l’appréhension revint, traversa les entrailles des habitants. Tous guettaient le coucher du soleil avec anxiété, comme s’il s’agissait de leur dernier, que le crépuscule serait celui de leurs vies. Dans leurs regards inquiets, la nuit s’abattait sur eux ainsi qu’un couperet, le jour ne se lèverait plus, ou seulement pour révéler l’ampleur des ravages, illuminer un village noirci par les flammes, des maisons carbonisées, n’abritant que des carcasses humaines pétrifiées dans leur dernier mouvement de souffrance.
Assise sur le marbre froid d’une tombe, Élisa assistait au spectacle, paisible. La nuit sublimait les flammes, et il y avait dans l’air nocturne une exquise odeur de brûlé. Quelques cendres y voletaient deci delà, pareilles à des confettis. Elle observa longuement les lueurs du feu dans la nuit. On aurait dit qu’un sabbat se tenait dans la garrigue, que Satan s’était invité au bal des sorcières, que les lumières épousaient son sillage, formaient les contours de sa silhouette.
Elle quitta le cimetière, passa devant une maison. On l’épiait depuis l’une des fenêtres au rideau tiré. Derrière la vitre, quelqu’un la maudissait. Cela ne lui faisait pas peur. Elle était plus forte qu’eux. Les habitants de Saint-More n’étaient que des nuisibles de bas-étages. Des parasites négligeables, mais qu’il serait bon de gazer. »
L’incendie, un extrait de Kauma ©, roman de Sebastian Regert