« L’APPARTEMENT. Jamais je ne t’aurais cru capable d’une telle irrévérence à mon égard. Ton œuvre imbécile et prétentieuse n’a donc pas suffi. À l’encre et au papier devaient se succéder la chair et le sang, des êtres vivants pour que parlent les morts et les disparus, tes Absents. Sombre idiot. Je ne suis pas le fruit de ton cerveau dégénéré, ni le personnage de l’un de tes romans avortés. Je suis et resterai une vie, une vérité. Tes actrices, aussi nombreuses et différentes soient-elles, ne m’atteindront jamais. Leurs mots seront les tiens, ceux d’un esprit à la dérive. Regagne ton centre pour aliénés et meurs-y, ce ne sera que justice pour l’affront que tu me fais aujourd’hui.
L’HOPITAL. J’exploserai tes points de suspension. Je déchirerai les parenthèses, piétinerai les interrogations, anéantirai le verbe et le complément. Sur des pages, je répandrai mon encre indélébile. Qu’importe le mensonge. Je décide de ce qui est vrai. Il en est ainsi. Je me nourris des vivants. Une fois repu, je les renvoie à leur néant. Tel est mon petit jeu. Te réduire à l’état de poupée dont le malheur serait d’avoir atterri entre mes mains. Sur la scène de mon théâtre, j’ai dessiné ta fin.
L’APPARTEMENT. Un pantin entre les mains d’un vampire. C’est mal me connaître que de m’espérer si passive. Tu oublies que les veines sont vides de sang. Dedans, seule la mort. C’est elle que tu aspires lorsque tu me mords. Tu te délectes d’un poison que tu prends pour du miel. Insouciant, tu donnes ta main à la gangrène. Ressens-tu mon étreinte. Depuis le tombeau, je pourrirai ton corps arrogant, la chair du vivant. J’entrerai par le cerveau, infecterai tes pensées, m’infiltrerai en toi comme l’eau dans un navire. J’ai déjà trouvé la faille et je m’y faufile. Ton paquebot n’aura bientôt plus aussi fière allure. Qu’un pauvre radeau dans la tourmente. Depuis les abysses, je t’attendrai patiemment. Je t’attends déjà. Je t’attends. Ne l’as-tu pas compris. La pieuvre chargée d’encre, c’est moi. J’agite ton corps vide à ma guise, gorge ta plume sèche. Si je le veux, tout cesse. »
La pieuvre, extrait de Physalis ©, pièce de théâtre de Sebastian Regert.