« Paris fut un choc. Au vide immuable de Saint-More succédait un trop-plein débordant de toute part. La gare d’arrivée lui fit l’effet d’un film d’horreur. Elle n’aurait jamais cru qu’il puisse y avoir tant de monde en un même endroit, autant de gens qui s’ignoraient, se percutaient, le nez collé à leur téléphone, allant et venant dans une structure gigantesque et labyrinthique, d’une façon désordonnée et oppressante. La texture de l’air lui était étrangère, l’atmosphère semblait viciée, plus lourde. Le bruit était infernal, la clameur des gens, les voix enregistrées qui tombaient sur l’ensemble de la foule, les cris d’ivrognes, les pleurs d’enfants, les sollicitations des mendiants, tout formait un magma agressif. Puis, il y eut le métro. Élisa n’avait jamais rien vu ni senti de tel. La puanteur n’avait rien à envier aux charognes rencontrées dans la garrigue. Ici, c’était une macération de pisse et de merde, de saleté qui stagnait. La crasse s’étalait partout, des murs aux plafonds, dans des stalactites immondes couleur rouille, et au bout desquelles gouttaient un liquide trouble. Les sans-abris dormaient face contre terre, et les passants ne les regardaient pas, ne semblaient pas les voir. Peut-être étaient-ils en danger, ou morts. On ne savait pas, on ne voulait pas savoir, c’était comme ça. Le métro, son rugissement, ses tags sur les vitres, ses matières sur les fauteuils, ces corps entassés, agglutinés, l’émanation des parfums et des déodorants, des transpirations de la journée, l’odeur des sandwichs et des frites que l’on mange debout, et les haleines qui s’exhalent, les regards qui ne se croisent pas, qui s’évitent, les wagons qui dégueulent et se remplissent… Élisa en eut la nausée. Et enfin, la rue. Le vacarme incessant, la foule, les terrasses des cafés, les klaxons, les publicités, les trottinettes partout, les boutiques de vêtements, les mégots par terre, les sirènes de pompiers, les gaz des pots d’échappement, les terrasses encore, les mégots partout, les trottinettes tout le temps, le gris, le sale, la misère à chaque coin de rue, à chaque distributeur de billets, des vieillards et des gosses, les mains tendues, l’indifférence, la solitude dans une foule en mouvement. »
Paris, extrait de Kauma ©, roman de Sebastian Regert.